« Je n’ai rien d’exceptionnel à raconter, moi. Je ne comprends pas pourquoi mes petites-filles veulent que je fasse écrire ma biographie. » Voilà en substance la réaction de Mme A. lors de mon premier entretien avec elle. Ce commentaire, je m’en suis aperçu ensuite, n’a rien de rare dans la bouche des femmes nées pendant la première moitié du XXe siècle. On pourrait même étendre la fourchette temporelle sans doute. En écoutant leurs récits avec attention, en réagissant moi-même (la première destinataire de leur histoire) avec surprise, effroi ou amusement, j’ai réussi à convaincre certaines d’entre elles. Oui, leur témoignage peut être précieux pour celles, et aussi pour ceux, qui viennent après elles. La preuve dans les exemples qui suivent.
Les personnes avec lesquelles j’entame un travail biographique n’entretiennent pas toutes le même rapport à la lecture et à l’écriture. D’une manière générale, si elles souhaitent fixer dans un livre le récit de leur vie, c’est qu’elles croient, a minima, dans la force de transmission de l’écriture. Elles croient dans la permanence du livre et espèrent graver là, durablement, leur expérience. Puisque je fais ce métier, je partage avec elles cette conviction que l’écriture permet une forme d’héritage plus riche que tout autre. Pour autant, ces personnes dont j’ai écrit la biographie n’ont pas fixé les mêmes règles concernant le style d’écriture de leur biographie.
Quand on fait écrire sa vie par une tierce personne, on peut légitimement craindre de s’en sentir dépossédé. On peut aussi avoir peur que l’ensemble ne nous ressemble pas vraiment. En tant que biographe, je vais vous expliquer ici comment je tente d’éviter ces écueils à travers un exemple : le choix de la première ou de la troisième personne pour construire le récit.